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Carnet de guerre d'un Ardennais
2 janvier 2009

Introduction au carnet 3 :"Notes personnelles (suite)"

Ses déplacements vont le conduire dans la Somme, la région d’Epinal, la Marne, Château-Thierry, Epernay, Reims, Dormans, Nancy, puis Marne et Haute-Marne, Vosges, retour à Château-Thierry, Compiègne, à nouveau Montagne de Reims et la région de Souain et Sommepy. Voilà, brièvement résumée l’errance de ce soldat, père de deux enfants en bas âge, pendant les deux dernières années de la guerre. Ses permissions ne lui apportent que des joies de bien courte durée : « la permission s’écoule vite ; trop vite ». L’ennui le saisit de plus en plus : « D’ailleurs, c’est simple, je m’ennuie partout de me sentir si seul et voudrais être près de ma femme et de mes deux petites. » Suzanne, bien que très jeune alors, a encore en mémoire quelques souvenirs des mois passés à Nogent. Elle jouait avec des cubes sur lesquels étaient reproduites des images de soldats et d’infirmières, des combats aériens ou navals. Quant à Madeleine, elle a retrouvé son alphabet de temps de guerre. Ainsi avons-nous A comme Artillerie, B comme Boches, E de Embuscade, F de Fort, T de Tranchée, et le U de Uhlans …. Ce ne sont là que des exemples ! Monsieur PETIT, lors d’une permission, avait apporté une tente qui a servi aussi de lieu de jeux à Suzanne et ses cousins ; ils y jouaient à la ….guerre ! Elle revoit aussi le petit sac de toile que sa mère utilisait pour envoyer quelques victuailles à son mari au front. « Un petit sac, car on ne trouvait pas grand-chose ! ». L’étiquette d’expédition était écrite à la main avec « un crayon que l’on mouillait ». Marguerite et Marie tricotaient des gants de laine (« des gants immenses, sûrement pour des mains d’homme ! »), ce qui leur rapportait quelques sous. Lors des premiers bombardements de la Grosse Bertha, la famille se terrait dans la cave, mais au fil du temps, cette pratique fut abandonnée : « c’était aussi dangereux de se retrouver avec toute la maison sur la tête ! ». A Nogent, Suzanne, comme d’autres enfants, a ramassé un débris d’un obus venant de la Grosse Bertha ; les adultes les mettaient en garde : « attention, ça brûle ! ». L’écriture change : dans les deux précédents carnets, elle est très soignée. Dans ce dernier, surtout quand Monsieur PETIT sent que le cours de la guerre change, que les boches perdent du terrain, que la situation politique en Allemagne même devient plus chaotique, l’écriture se relâche. Les dernières lettres de nombreuses lignes se prolongent par un trait horizontal : expression de lassitude ? Envie d’en finir au plus vite ? Soulagement ? Il suit aussi beaucoup moins les lignes de son carnet, l’écriture se fait plus rapide. Le cauchemar est en passe de se terminer. De grandes périodes sans écrits, ou peu commentées, correspondent à des offensives : - du 5 mai au 21 juin 1917, « peu de changements depuis l’offensive, qui malheureusement n’a pas réussi. Il y a eu des combats épouvantables mais pas de résultats». - du 14 juillet au 15 août, puis au 4 octobre 1917 : quelques lignes sur l’utilisation de gaz asphyxiants et « l’ennui me prend et pendant plus d’un mois ce sont des journées atroces. » En 1918, on a l’impression que les informations commencent à mieux circuler, Monsieur PETIT donne davantage de précisions sur la position des anglais et de l’ennemi. « On commence à avoir espoir que la fin de la guerre approche ». A partir du 26 septembre, il entrevoit la victoire : « C’est dur, mais on avance », « chaque jour apporte de nouveaux succès ». « Enfin, depuis 4 ans, on met les pieds dans notre malheureux département. Nos parents doivent entendre le canon de la délivrance. Quelle joie si c’était bientôt. » Il énumère les villes et villages libérés sur les différents fronts. Il nous apprend que le village de Renwez n’a été libéré que tout à la fin de cette épouvantable guerre. « Après 4 ans passés, mes parents sont délivrés. Ce n’est pas sans émotion que j’ai lu ce communiqué du 10 novembre. Quand aurai-je de leurs nouvelles ? Je souhaite le plus vite possible, car, pour le dernier jour de cette maudite guerre, la bataille a été violente là. » Il termine sa narration par ces phrases : « Le 11 novembre, 1561ème jour de la guerre, marque la fin de ce terrible carnage qui n’a aucun précédent dans l’histoire. Les conditions de l’armistice imposées à l’Allemagne sont formidables. Elles ne le sont pas trop pour un pays qui n’a jamais reculé devant les moyens les plus barbares et les plus sauvages pour essayer d’écraser la France. Pendant 4 ans passés, nous avons souffert, mais nous avons tenu. L’heure de la vengeance a enfin sonné. » Suzanne, 96 ans, se revoit encore avec son petit drapeau tricolore en papier, elle criait avec les autres enfants « La guerre est finie ! ». D’ailleurs voici un extrait du « Journal » du mercredi 13 novembre 1918 (journal que m’ont confié Madeleine et Suzanne) : « La deuxième journée sans guerre à Paris : (…) On vit de tout petits enfants qui s’en allaient gravement, serrant entre leurs bras d’immenses drapeaux. On vit flotter d’autres drapeaux, cravatés de deuil. Ceux qui les avaient arborés avaient fait à la victoire le sacrifice d’un être cher et ils affirmaient ainsi la mâle joie qu’ils éprouvaient à travers leur immense douleur. »
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